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Pour paraphraser Walter Benjamin, on pourrait dire que la scène est l’un de ces endroits « où quelque chose d’authentiquement nouveau se fait sentir pour la première fois avec la sérénité d’un nouveau matin ».

Walter Benjamin, Paris capitale du 19^e siècle, Le livre des passages, traduction Jean Lacoste, édition du Cerf, 1989

Ce caractère unique se vit quand on assiste à une lecture, simple, dansée, musicale, un concert dessiné, un DJ-set performé, une sieste textuelle, ou tout autre forme qui rend vivant ce contenu. La question de l’incarnation s’est généralisée dans le processus de valorisation d’une œuvre. C’était inhérent à la poésie ou au slam, domaines dans lesquels la scène est centrale, précède parfois l’édition, voire se suffit à elle-même – la poète Cécile Richard en est une parfaite illustration.

Mais la généralisation du passage à l’oralité pour le roman ou les textes de non-fiction et la question de la scène pour le dessin, sont devenues de plus en plus centrales. Les tables rondes réalisées par l’Agence avec l’association Actes pro en 2022 et 2023 en témoignent.

Parmi les mutations des savoir-faire de l’auteur et de l’autrice, ou du médiateur et de la médiatrice, il faudrait ajouter la maîtrise de la scène ? C’est en tout cas dans cette mise en avant de l’artiste, dans cette incarnation de ses textes ou de son trait, que s’orientent de nombreuses sollicitations, notamment celles des bibliothèques ou des manifestations littéraires, raison pour laquelle la Fabrique à Li(v)re s’est emparée du sujet.

Si l’on associe cette question aux expérimentations collectives autour du livre (clubs de lecture, ateliers d’écriture, et autres animations), il se dessine encore autre chose. Le livre, l’auteur deviennent le point central, font communauté, et c’est la raison pour laquelle le thème de « la tectonique des corps » du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil est riche. La coprésence du corps de l’artiste et des corps des participants devient un élément déclencheur de quelque chose pour le public : un déplacement, un engagement, une émotion qui permet d’explorer d’autres facettes de soi et des autres. 

À l’heure où la digitalisation du monde bat son plein, où toutes les relations humaines deviennent sujets à application pour smartphone, le livre et la lecture réinventent là une autre manière d’être ensemble, physiquement, de vivre « quelque chose d’authentiquement nouveau », quelque chose qui a à voir avec cette « première fois », autant qu’avec « la sérénité d’un nouveau matin ».

François Annycke
Directeur de l'AR2L Hauts-de-France